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Centres d’appels: «Nous aurions pu recruter deux fois plus»

Le 01/10/2019 | Par Youssef CHRAÏBI
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C’est l’un des secteurs qui souffrent le plus de la rareté des profils maîtrisant les langues et les soft skills. L’offshoring, notamment dans sa composante centres d’appels, est obligé de mettre les bouchées doubles pour attirer et garder les ressources compétentes. Selon Youssef Chraïbi, président de la Fédération marocaine de l’outsourcing, le secteur aurait pu employer deux fois plus de salariés, et gagner deux fois plus de revenus à l’export, si le vivier de jeunes employables était moins réduit. Les opérateurs sont obligés de chasser des profils ailleurs. 15% de leurs effectifs sont aujourd’hui originaires d’Afrique subsaharienne. Mais ils ont une autre bataille à gagner, celle de l’image.

- L’Economiste: 4 employés en centre d’appels sur 10 y travaillent depuis moins d’un an, selon Rekrute.com. Le turnover est-il toujours aussi problématique dans le secteur?


- Youssef Chraïbi: Tout d’abord, j’aimerais rappeler à quel point le secteur est devenu fondamental pour les jeunes diplômés arrivant sur le marché de l’emploi. Ces jeunes trouvent dans les centres d’appels un complément de formation, constituant ainsi un extraordinaire tremplin pour leur vie active. Concernant le turnover, il est clair que, après la pénurie des ressources qualifiées, cela reste le principal défi RH à relever, compte tenu de nos investissements en formation et de notre difficulté croissante à capitaliser sur la montée en compétence de nos collaborateurs.

- Comment tentez-vous de les fidéliser?
- En proposant des plans de carrière sur plusieurs années et en offrant des conditions de travail optimales. Les entreprises leaders de notre secteur sont très en avance dans leurs pratiques sociales, avec un salaire minimum de près de trois fois le SMIG, et des avantages que l’on trouve rarement ailleurs: Formation continue, mutuelle complémentaire, cantines ou tickets restaurants, transport, crèches… Paradoxalement, l’offshoring a contribué à relever les minima sociaux dans notre pays, rendant les jeunes diplômés beaucoup plus au fait des meilleures pratiques sociales, et donc naturellement plus exigeants. A nous de faire en sorte de les conserver, afin de capitaliser sur nos efforts en formation initiale et continue.

- Le stock de jeunes employables est déjà réduit. Dans un secteur où la concurrence fait rage, comment contourner ce frein de taille?
- Nous n’avons pas d’autre choix que de faire avec! Nous recrutons tous les profils que nous pouvons en tenant compte du niveau d’exigence minimal de nos donneurs d’ordre, en premier lieu en termes de maîtrise de la langue française. Ce n’est pas faute d’avoir alerté les pouvoirs publics, depuis plus de quinze ans, sur le gâchis monumental que pouvait constituer cette absence de maîtrise des langues étrangères. Et ce, à un moment où le Maroc a affirmé sa volonté de s’insérer dans la carte mondiale de l’économie du savoir. Nous recrutons ainsi de plus en plus d’étrangers, essentiellement originaires d’Afrique subsaharienne, qui représentent plus de 15% de nos effectifs. L’étape suivante consistait à aller investir dans cette région pour les recruter dans leurs pays d’origine.

- A combien estimez-vous le manque à gagner dû à la rareté des compétences?
- Il est difficile de l’estimer précisément. Notre secteur crée plus de 5.000 emplois par an, uniquement sur le segment des centres d’appels. Il est clair que nous aurions pu réaliser au moins le double, si nous n’avions pas cette problématique de maîtrise du français. Les revenus à l’export dépassent les 10 milliards de DH aujourd’hui, ils pourraient être au moins deux fois plus importants.

- Les employés des centres appels les considèrent comme des tremplins pour leur carrière, selon l’enquête Rekrute.com. Mais les jeunes diplômés continuent de les bouder. Pour quelle raison?
- L’intérêt de cette étude est qu’elle révèle la perception objective des jeunes qui ont réellement connu nos entreprises. La majorité des répondants considère les centres d’appels comme un environnement apprenant et formateur. Nous estimons aujourd’hui que plus de 200.000 jeunes y ont déjà travaillé, il s’agit donc de nos meilleurs ambassadeurs. Je ne suis pas convaincu que nous ayons mauvaise presse auprès des jeunes informés, même s’il est clair que certains vieux clichés des usines du 21e siècle, exploitant la misère du monde, peuvent encore exister dans des milieux moins informés.

- Le stress et le rythme de travail arrivent en tête des inconvénients cités et des motifs de démission. Vos salariés sont-ils surexploités?
- Le stress arrive, en effet, en tête des désagréments de notre métier, mais 71% des répondants le recommandent tout de même à leurs amis… Je ne pense pas qu’ils conseilleraient à leurs proches une activité où ils seraient surexploités. Il est clair que nous travaillons dans un environnement stressant. Nous aimerions tous que nos donneurs d’ordre soient moins stressants, qui à leur tour préfèreraient que leur consommateurs le soient moins. A nous de voir si nous désirons nous donner les moyens ou non d’être performants dans ce secteur très concurrentiel. Ce n’est pas le Maroc qui a inventé les centres d’appels, ce métier existe partout ailleurs dans les économies les plus développées, avec les mêmes avantages et les mêmes contraintes. Il s’agissait pour nous de profiter de cette opportunité historique de nous insérer dans la carte mondiale de l’offshoring, de créer des emplois et de générer des revenus en devises. L’offshoring est le second secteur le plus important en termes de créations d’emploi au Maroc, juste après l’automobile. Alors oui, le prix à payer est que notre travail est un peu stressant.

- La faible rémunération arrive troisième. Vos salaires sont-ils peu attractifs?
- Je vois surtout que la faible rémunération n’est pas citée en premier ou en deuxième comme c’est le cas dans la majorité des autres secteurs, où des études similaires ont été réalisées. Ce n’est donc objectivement pas la première revendication de nos collaborateurs. Je ne pense pas qu’un salaire minimum de 5.000 DH pour un primo-arrivant sur le marché de l’emploi puisse être considéré comme une mauvaise rétribution, connaissant la réalité des salaires pratiqués au Maroc. Nous devons, par ailleurs, réaliser que nous sommes dans un marché mondial où des téléopérateurs touchent des revenus bien inférieurs. A Madagascar, par exemple, ils gagnent 1.200 DH par mois. Nous avons néanmoins fait en sorte que nos donneurs d’ordre continuent à choisir le Maroc comme première destination de l’offshore francophone, loin devant tous les autres pays concurrents.

Propos recueillis par Ahlam NAZIH

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